EU COORDINATION vous emmène aujourd’hui du côté de la retraduction d’ouvrages littéraires. Au-delà d’une question de modernité et d’adaptation au monde contemporain, cet exercice est parfois périlleux. En effet, il n’est pas à l’abri de vives réactions. De la part des puristes attachés viscéralement à l’œuvre et à son texte sacralisé. Un exemple relativement récent illustre les potentielles polémiques entourant cet exercice. Celui de la retraduction de l’œuvre majeure 1984 d’ORWELL.
Modernisation de la traduction
Presque soixante-dix années se seront écoulées entre les deux versions francophones du fameux roman 1984 de Georges ORWELL. La plupart des lecteurs actuels ont lu la version traduite par Amélie Audiberti en 1950. Cette version était parfaitement contemporaine de l’œuvre d’origine. Une retraduction, commandée par Gallimard à Josée Kamoun, est sortie en 2018. Celle-ci a été vivement critiquée par les puristes car la traductrice ayant transposé le roman dans un contexte actuel. Cette nouvelle traduction de « 1984 » a suscité de nombreuses polémiques. Et pose la question de la « modernisation » d’un roman devenu monument aux yeux de nombreux lecteurs.
C’est la raison pour laquelle nous pensons utile et nécessaire de tenter de clarifier brièvement les raisons et l’objectif pour lesquels de nouvelles œuvres sont traduites à partir de certaines traductions originelles d’œuvres. Alors, pourquoi de nouvelles traductions sont-elles imposées ? Pourquoi prendre la peine de retraduire un texte déjà traduit ?
Pourquoi prendre la peine de retraduire un texte déjà traduit ?
Les traductions d’ouvrages restent éternellement jeunes quel que soit le niveau d’intérêt que nous leur portons (proximité ou leur éloignement culturel). Malgré cela, les traductions « vieillissent ». Correspondant à un état donné de la langue, de la littérature, de la culture, il arrive, souvent assez vite, qu’elles ne répondent plus à l’état suivant. Il est alors nécessaire, de retraduire, car la traduction existante ne peuvent plus jouer le rôle de divulgation et de communication des œuvres. Par ailleurs — et c’est là une orientation de pensée très différente — comme aucune traduction ne peut prétendre être « the » traduction, la possibilité et la nécessité de retraduction sont inscrites dans la structure même de le fait de traduire. Toute traduction réalisée après la traduction originelle d’une œuvre est en conséquence une retraduction.
Il faut donc retraduire parce que les traductions vieillissent
Il en est ainsi parce qu’aucune n’est « the traduction ». Ceci nous conduit à constater que traduire est une activité dominée par le temps. Et une activité qui possède une temporalité propre : celle de la caducité et de l’inachèvement.
L’envie de montrer la nouveauté et l’intérêt de son domaine de recherche est grand. Mais au-delà de ce que l’on pourrait entrevoir derrière cet ardent désir, il est manifeste que la retraduction est une activité qui s’impose du point de vue quantitatif et qualitatif dans la plupart des systèmes littéraires. Le mot prend aussi, le sens de « traduction d’un texte qui est lui-même une traduction ». Et donc de « traduction par relais », ou « traduction indirecte ». Cette signification est affirmée en français à partir du XVIIe siècle.
Retraduction ou nouvelle traduction
Si le terme de retraduction est aujourd’hui relativement fréquent parmi les traductologues, force est de constater que le monde éditorial fuit cette définition, en lui préférant de façon systématique l’expression « nouvelle traduction », dans la volonté manifeste de souligner la nouveauté de l’opération, plutôt que la répétition implicite de l’acte. La retraduction étant une thématique potentiellement très étendue, il convient d’imposer un domaine , ainsi que des limites géographiques et culturelles et chronologiques , aux fins d’éviter tout éparpillement théorique et analytique. Pour ce qui est de la contrainte générique, il faut limiter notre analyse au texte littéraire. Et avec la conviction que la littérature est le domaine où la retraduction trouve son expression la plus vitale. Le choix de limiter notre corpus à la littérature européenne se nourrit de la conviction qu’il y a une cohérence épistémologique et historique dans cette « limitation ».
Une traduction peut être insatisfaisante, par exemple, en raison d’omissions ou de modifications dans les traductions précédentes. La retraduction sera donc déterminée, dans ce cas, par la volonté de restaurer l’intégralité du texte. L’histoire de l’Europe au XXe siècle nous offre plusieurs exemples de censure idéologico-politique. Ou encore de cette censure morale qui atténue, voire efface, dans les traductions, les éléments contraires à la morale dominante.
EU COORDINATION vous donne rendez-vous sur le site slate.fr pour découvrir la nouvelle version francophone du chef-d’œuvre d’ORWELL par Josée KAMOUN.